V
Accueil

BERTRAND VAILLANT
L'amibe et la machine

Raymond Ruyer philosophe de la vie


" ​Qu’est-ce qu’un aigle ? C’est une forme vivante plastique qui, au cours de millions d’années, s’est donné des ailes puissantes, un bec acéré, des yeux perçants pour mieux se couler dans un certain style de vie, une certaine manière de pourvoir à ses besoins. Dans chaque œuf, à chaque génération, une cellule indifférenciée doit à nouveau se différencier, s’étendre et se solidifier en plume, corne, chair, os, sans cesser de former un corps unifié, un aigle, avec tout son cycle de vie et sa mélodie comportementale propre. Chaque organe joue son rôle, mais chaque organe peut dysfonctionner, être blessé ou malade, et causer la perte du tout. La vie est cette activité de différenciation dans l’unité, dans laquelle l’unité est en même temps menacée par la différenciation, lorsque celle-ci se fait spécialisation et mécanisation."

"​Le statut de l’amibe ou du protozoaire comme paradigme est ici clairement visible : il y a univocité de la vie depuis la cellule la plus primitive jusqu’au cerveau le plus complexe, ses caractères principaux restant inchangés. Il n’y a aucune différence essentielle entre une amibe isolée, une colonie d’amibes sociales du genre Dictyostelium et le réseau de neurones d’un cortex ou d’un système nerveux. Le système nerveux le plus complexe ne fait en réalité que préserver les propriétés fondamentales de la vie consciente dans l’organisme. Il ne faut pas se contenter de dire que l’amibe aussi est consciente, mais il faut dire qu’elle l’est d’abord, et que le cerveau n’est conscient que parce qu’il est fait de telles cellules, et que les cellules nerveuses seules ont gardé la spontanéité et la plasticité des protozoaires, au contraire des cellules spécialisées et rigidifiées."

" La vie sociale moderne est conçue, dans la continuité de la complexification des vivants, comme un progrès dans l’organisation technique mêlé d’une régression dans l’ordre de l’intelligence et de la capacité d’adaptation. ​Nous retrouvons donc la même tension dans la philosophie sociale que dans la philosophie du vivant : Ruyer est hanté par l’idée d’un monde éclaté, dépourvu d’harmonie et de sens, pulvérisé en éléments identiques. Mais en même temps il cherche à faire une philosophie de l’individu, celui-ci étant précisément conçu comme agent réalisateur de sens. Le collectif au contraire est toujours une foule, avec ses organisations mécaniques. "


"« Le "je" de l'homme que je suis, centre d'activités sensées, peut-il s'isoler, se poser dans le vide, enfant trouvé métaphysique ? » Assurément non, pour le philosophe Raymond Ruyer (1902-1987) : la conscience humaine ne saurait être comprise que comme un cas particulier de l'activité commune à tous les vivants, voire à tout être véritable. Pour Ruyer, toutes les explications mécanistes de l'émergence de la conscience à partir d'une matière inerte ont échoué, il est donc temps de rompre tant avec le dualisme qu'avec le matérialisme mécaniste, pour repenser ensemble et radicalement la conscience, la vie et la matière. Au milieu du XXe siècle, il élabore ainsi une philosophie panpsychiste et finaliste qui fait de la conscience « l'étoffe même du monde ». S'appuyant sur une connaissance solide des sciences de son temps, de l'embryologie à la cybernétique, il s'efforce de montrer que cette version renouvelée du finalisme, inscrite dans la filiation de Leibniz, Schopenhauer, Bergson ou encore Whitehead, correspond bien mieux que le mécanisme à notre connaissance de la vie. Ce faisant, il développe une pensée originale, à l'audace métaphysique certaine, dont les intuitions donnent à voir ce que l'attention au vivant fait aux catégories classiques de la philosophie, et combien elle nous force à les refonder. Ce livre se penche sur les méthodes, les sources et les arguments de la théorie ruyérienne du vivant. Il s'efforce de mettre en évidence ses forces et ses faiblesses, voire ses dangers, quand elle prétend appliquer la « psycho-biologie » à des questions morales, sociales et politiques."

 


RAOUL VANEIGEM
Nous qui désirons sans fin

« Jamais le désespoir d’avoir à survivre au lieu de vivre n’a atteint dans le temps et dans l’espace existentiel et planétaire une tension aussi extrême. Jamais n’a été pressentie aussi universellement l’exigence de privilégier le vivant sur le totalitarisme de l’argent et de la bureaucratie financière »

: « Nous sommes les enfants d’un monde dévasté qui s’essaient à renaître dans un monde à créer. Apprendre à devenir humain est la seule radicalité. »


JEAN-PIERRE VERNANT

La page Jean-Pierre Vernant sur Lieux-dits

DOMINIQUE VIDAL
Antisionisme = antisémitisme ?
Réponse à Emmanuel Macron

" Destiné à faire taire la critique d’Israël, le chantage à l’antisémitisme ne date évidemment pas d’aujourd’hui. Mais il a pris un tour nouveau en fonction du contexte géopolitique du pays. La radicalisation du pays – direction et, à un moindre degré, population – pourrait en effet accentuer son isolement. D’où l’effort tous azimuts de Benyamin Netanyahou pour desserrer l’étau. La date du 6 février 2017 entrera peut-être dans l’histoire comme celle d’un tournant du conflit israélo-palestinien. Ce soir-là, la Knesset, le Parlement israélien, adoptait, par 60 voix contre 52, une loi dite « de régularisation ». Il aurait mieux valu dire « de confiscation » : elle ouvre en effet la voie à l’annexion de tout ou partie de la Cisjordanie."

« À ce premier dérapage, le nouveau chef de l’État en ajoute malheureusement un second : à la fin de son discours qui souligne fort justement la responsabilité de l’État français et de sa police, il glisse cette petite phrase : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme. »
Dans une tribune, aussitôt, je dénonce – comme d’autres – une « erreur historique » doublée d’une « faute politique » : – une « erreur historique », car l’antisionisme a été et reste le positionnement de nombreux Juifs, qui ne considèrent pas que leur place soit en Israël. Comment pourrait-on leur coller l’étiquette infamante d’antisémitisme ? Soit dit au passage, les Juifs antisionistes ou non sionistes sont les plus républicains de tous, puisqu’ils donnent une priorité absolue à leur intégration dans leur communauté nationale ;
– une « faute politique », car le président de la République, de fait, encourage ainsi l’aventurisme de la droite et de l’extrême droite au pouvoir à Tel Aviv. Benyamin Netanyahou, ses amis au Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et les sites pro-israéliens ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : ils ont vu, à juste titre, dans la petite phrase présidentielle un soutien à la politique d’occupation et de colonisation d’Israël. De surcroît, cette formule conforte la tentative de criminalisation de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS), sans attendre le verdict de la Cour européenne des droits de l’homme saisie par les avocats de militants injustement condamnés. La preuve ? Quelques semaines plus tard, le président du Crif, Francis Kalifat, exige qu’une loi soit votée pour sanctionner l’antisionisme."

LAURENT VIDAL
Les hommes lents: Résister à la modernité, XVe-XXe siècle


"Mais une telle quête ne pourrait toutefois être complète si elle se contentait simplement d’enregistrer une sismographie des temps forts de cette association entre lenteur et discrimination sociale : il faut déborder ce constat et envisager la lenteur comme une subversion possible de la cadence rapide imposée par le rythme des échanges et du travail – un projet, en somme, de résistance ou de ré-existence, où les lents chercheraient, à tâtons, par des ruptures de rythmes, la voie d’une autre existence possible. Au terme de cette quête, il faudra toutefois accepter que demeure une part d’ombre : c’est dans ce jeu d’ombres et de lumières que les hommes lents nous requièrent. "


Pieter Brueghel l'ancien: Disidia


4ème de couverture: "L’histoire de la modernité est d’abord celle d’une discrimination : en érigeant la vitesse en modèle de vertu sociale, les sociétés modernes ont inventé un vice, celui de la lenteur – cette prétendue incapacité à tenir la cadence et à vivre au rythme de son temps.
Partant d’une violence symbolique et d’un imaginaire méconnu, Laurent Vidal fait la genèse des hommes lents, ces individus mis à l’écart par l’idéologie du Progrès. On y croise tour à tour un Indien paresseux et un colonisé indolent à l’époque des grandes découvertes, des ouvriers indisciplinés dans le XIXe siècle triomphant ; plus proches de nous, le migrant en attente ou le travailleur fainéant restent en marge de l’obsession contemporaine de l’efficacité.
Mais l’auteur révèle avant tout la façon dont ces hommes s’emparent de la lenteur pour subvertir la modernité, à rebours de la cadence imposée par les horloges et les chronomètres : de l’oisiveté revendiquée aux ruses déployées pour s’approprier des espaces assignés, les hommes lents créent des rythmes inouïs, jusque dans les musiques syncopées du jazz ou de la samba. En inventant de nouveaux modes d’action fondés sur les ruptures de rythme – telles les stratégies de sabotage du syndicalisme révolutionnaire –, ils nous offrent un autre regard sur l’émancipation.
Mêlant la rigueur de l’historien à la sensibilité d’un écrivain qui puise aussi bien dans la littérature que dans les arts, cet essai ouvre des horizons inédits pour repenser notre rapport à la liberté.
"

PIERRE VIDAL-NAQUET
Le chasseur noir

En étendant son manteau entre lui et le soleil, Périclès déchargeait une éclipse de sa signification irrationnelle, mais, malade, il gardait l'amulette que des femmes lui avaient suspendue au cou.


PAUL VIRILIO

PAUL VIRILIO
Le futurisme de l'instant

Nanomètre, nanoseconde, avec les nanotechnologies, c'est en effet la question des NANO-CHRONOLOGIES qui se pose. Passé, présent ou futur, que reste-t-il désormais des longues durées de l'histoire générale ou des courtes durées de l'histoire événementielle, sinon l'ébauche désastreuse d'une histoire purement accidentelle ?


PAUL VIRILIO
Ville panique

"Alors, à la tombée du jour, aux lueurs crépusculaires d'une planète déserte succédera la nuit, la nuit obscure d'un vide électromagnétique où, le NOMBRE succédant au NOM, à tous les noms, le vraisemblable dominera, de toute sa puissance de calcul, le semblable."


PAUL VIRILIO
LA VITESSE DE LIBERATION

"La résistance des distances ayant cessé, le monde perdu nous renverra à notre solitude, une solitude multiple de quelques milliards d'individus que les multimédias s'apprêtent à organiser de manière quasi-cybernétique. Après deux guerres mondiales dans l'espace qui ont abouti à la perte progressive de l'espace-monde, avec les conquêtes de l'air et de l'espace circumterrestre, la guerre mondiale dans le temps débouchera quant à elle, sur la perte de notre liberté de mouvement, une perte irrémédiable mais discrète, où tout demeurera en l'état, mais sera qualitativement discréditée, dans ce temps-monde qui répondra demain à tous nos désirs...
Alors, à côté de ce temps profond de la géologie et de l'histoire, surgira ce temps superficiel de l'interaction à distance, qui succédera aux superficies d'une étendue disparue; le temps réel des transmissions supplantant définitivement l'espace réel du transport, accomplira la prophétie d'un saint Jérôme selon laquelle:" Le Monde est déjà plein et ne nous contient plus."..."